Vasant ritu, le printemps en Ayurveda
Adapter son style de vie à la danse cyclique des saisons appelées ritu en Ayurveda.

Caractéristiques du printemps
Doshas dominants : Aggravation de Kapha et retour de pitta
Gunas (qualités) : Chaud et huileux
Equivalant chez l'humain : Puberté de 13 à 20 ans
Le printemps est à nos portes avec sa belle floraison et sa météo imprévisible, tantôt pluie et bourrasques de vent, tantôt grand soleil. Le soulagement que le froid humide de l'hiver s'apaise pour certains, l'appréhension des allergies saisonnières qui recommencent pour d'autres. Pour l'organisme ce n'est pas une saison "facile" selon l'Ayurveda, elle requiert comme toutes les saisons, sa part d'adaptation et d'ajustement tant au niveau de l'alimentation (ahar), que le style de vie (vihar). L'adaptation aux saisons nous permet d'éviter que ces changements naturels cycliques (vikriti naturelle) ne constituent pas une plateforme pour installer un déséquilibre sur le long terme (vikriti non-naturelle).
Force est de constater qu'une majorité de la population humaine vit dans des grandes villes de nos jours, entretenant un rythme de vie décalé du rythme circadien et saisonnier. Cette déconnexion avec le rythme de la terre et ses lois est une cause primaire de déséquilibre.
La déconnexion est corrélée à un manque d'écoute par rapport aux besoins du corps la perte progressive de sensibilité par rapport à ce que le corps et l'esprit réclament. Nous ne ressentons plus avec autant de clarté les messages que notre organisme nous envoie. Nous manquons de discernement pour faire la part entre ce qui nous nous nourrit et ce qui nous empoisonne.
Il devient alors nécessaire de rétablir cette communication et cette écoute, pour faire des choix intuitifs et justes pour soi. Nos ancêtres étaient alignés avec cette intelligence innée mais les impératifs du monde moderne nous en ont coupés. L'étude de l'Ayurveda (qui veut dire science de la vie) nous aide à retrouver notre "bon sens", une logique dans ces variations cycliques.

Qu'est-ce qui se passe durant le printemps selon l'Ayurveda ?
L'hiver, nous avons l'appétit pour bien manger. Nous mangeons riche, lourd, onctueux, et ceci nous permet de faire des réserves pour l'année. Il ne faudrait d'ailleurs surtout pas se priver des bonnes protéines et des bonnes graisses durant l'hiver car c'est la saison où le feu digestif, Agni, est le plus performant. Au tout début du printemps, la remontée des températures est soudaine, et la chaleur de notre feu intérieur n'a pas encore eu le temps de s'ajuster et de ralentir. D'ailleurs, on a chaud, on ressent l'envie de se dévêtir, et on finit souvent par attraper un rhume ou une bronchite pour finalement se rappeler qu'"en Avril, on ne se découvre pas d'un fil".
Il faut savoir qu'Agni diminue à la chaleur et augmente durant les saisons froides. Imaginez votre appétit après une journée de travail en hiver versus sous une chaleur humide. On a naturellement plus d'appétit et de capacité digestive pendant la saison froide. Une des règles clés de l'alimentation en Ayurveda est de manger à la hauteur de sa capacité digestive.
Le printemps, c'est donc un moment de ralentissement progressif du feu digestif et des processus métaboliques, on dit qu'Agni diminue ses performances de 25% par rapport à l'hiver. Si on continue tout au long du printemps de manger comme on le fait en hiver, alors qu'on a une capacité diminuée de transformer et métaboliser cette nourriture, qu'arrivera-t-il ? Il y a un risque de déséquilibre. Concrètement, comment se manifeste ce déséquilibre d'accumulation? en Ayurveda, on va parler de "blocage" des canaux (srota avarodha) ou obstruction des voies de désintoxification. Mucus, nez encombré, allergies, sensation de lourdeur, nausées, rétention d'eau, mais aussi inflammation. Si on devait décrire l'état du corps en termes de qualités (gunas), au printemps le corps devient chaud (ushna) et huileux (snigdha). Chaud dans ce contexte-ci veut dire inflammé ou enclin à produire de l'inflammation.
C'est alors le temps pour diminuer la prise d'aliments qui aggravent cet état. En Ayurveda, on se base sur la loi de Samanya: Cette loi énonce que ce qui se ressemble s'augmente ("similar increases similar"). Si on suit la loi de Samanya sur la question des aliments à éviter au printemps, on sélectionnera naturellement les aliments considérés comme chauds, huileux et qui ont un potentiel d'obstruction (abishandi). Les fromages fermentés, le yaourt, le poisson, les lentilles brunes et noires, les graines de sésame, les noix de cajou sont des exemples.
Si on comparait cette saison à l'échelle de notre vie humaine, elle correspondrait à l'adolescence. La croissance continue depuis l'enfance, mais avec elle, il y aussi un potentiel inflammatoire: Les gunas chaud et huileux se traduisent par acné et cheveux gras à l'adolescence.

Quoi manger au printemps ?
La première recommandation est de donner une plus grande place à la saveur (rasa) amère, épicée et astringente. En termes de gunas, privilégier des aliments plus légers (laghu) et asséchants (ruksha).
La saveur amère et astringente se retrouve dans les légumes verts comme les artichauts, le brocoli, le chou frisé, la laitue, les blettes, les épinards, le céleri, le poireau, etc. Pour ce qui est des céréales, on privilégie les céréales légères et sèches comme le quinoa, l'orge et le millet. Il est aussi conseillé de cuisiner avec des épices réchauffantes (saveur piquante) comme le le curcuma, le cumin, le gingembre, le poivre noir, qui stimulent le feu digestif et aident à casser le mucus dans les bronches et les sinus.
Pour ce qui est des protéines animales, il est recommandé de diminuer sa consommation de viande rouge et de porc pour les substituer par des viandes maigres comme le poulet ou le lapin. On évite les boissons froides et sucrées, comme les smoothies, crèmes glacées, milk-shakes, lassis surtout s'ils sont faits à partir de fruits sucrés comme la banane et mélangés à du lait ou du yaourt, car ceux-ci vont produire un effet de stagnation ('dullness' ou mand guna) dans le système digestif, qui peut être contrée par l'ajout d'épices comme la cannelle ou la cardamome. L'eau froide est à éviter également, on la substitue par de l'eau tiède ou chaude.
Pour conclure, l'alimentation doit être allégée. Rappelons que l'Ayurveda recommande une assiette équilibrée avec les 6 saveurs à chaque repas. Seulement, certaines saisons demandent une modération de certaines saveurs au nom de l'équilibre.
Qu'en est-il du style de vie ?
"Ménage du printemps": le printemps est la meilleure saison pour nettoyer, purger et soutenir les voies de désintoxification naturelles du corps. Plusieurs religions encouragent cette purification intérieure: le carême, le jeune chrétien est un moment de l'année pour alléger son alimentation, en limitant la viande rouge notamment.
Concernant l'activité sportive, on y va un peu plus légèrement que durant l'hiver. Etant donné que agni est réduit de 25%, la force physique (bala) et l'endurance sont également réduites de 25%. L'Ayurveda nous indique de respecter cette petite baisse de régime en adaptant notre temps d'activité sportive. La marche, et le mouvement doux et organique qui ne fait pas transpirer ou augmenter le rythme cardiaque peuvent et devraient être faits sans limite.
Concernant les soins corporels, Vasant ritu n'est pas la bonne saison pour recevoir un massage à l'huile. Les soins devraient être asséchants (ruksham) plutôt que huileux (snigdham). On recommande alors udvartana à la place d'Abhyanga (massage à l'huile).
Udvartana est un massage vigoureux donné à sec, à l'aide d'un mélange de poudres et de plantes sèches stimulantes comme le café, la moringa, ou l'aloe vera. C'est le soin idéal pour stimuler le système lymphatique et favoriser la circulation. C'est une forme ancienne de drainage. Ce soin agit comme un stimulant métabolique et qui favorise l'élimination (langhan). Il est indiqué pour les troubles métaboliques comme le cholestérol, la résistance à l'insuline, l'obésité etc*. L'efficacité d'udvartana pour la perte de poids et la rétention d'eau a été établie empiriquement dans les cliniques ayurvédiques.
Une bonne alternative à Udvartana est de le brosssage à sec. D'autres soins thérapeutiques sont recommandés en ayurvéda pour le printemps, comme Vamana, les detox yogiques (kunjal Kriya) ou un panchakarma complet dans une clinique spécialisée.
Si ce n'est pas réaliste pour nous de faire ces ajustements au niveau de l'alimentation et du style de vie au printemps, il demeure intéressant de prendre conscience que des changements s'opèrent à un niveau grossier et subtil dans la nature et notre corps.
*Udvartana: Le soin est contre-indiqué pour les personnes qui ont une peau trop sensible, en crise d'eczéma ou qui présentent une condition de carence ou sécheresse (Peau sèche, émaciation, ostéoporose, arthrose etc.).
Pour conclure, au printemps la nature nous invite à manger un peu plus léger, prendre l'air et marcher, stimuler son corps et son esprit. Les projets qui étaient en gestation durant l'hiver fleurissent enfin, on observe l'éclosion des petits bourgeons au soleil. Au printemps, on crée de l'espace, on se donne les moyens d'éliminer le surplus, faire le ménage et vider ce qui ne contribue plus à notre croissance. On s'allège pour développer une vision plus fraîche de sa vie, de ses habitudes et de son quotidien.
Ces recommandations sont basées sur l'enseignement de Dr Sharma, médecin ayurvédique et fondateur de l'institut Ayuskama en Inde. Ses enseignements se basent sur des écrits comme Caraka Samhita (entre autres), le texte fondateur de l'Ayurveda.